La bonne et la mauvaise fatigue

par Baudouin Duchange
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La fatigue

 

« Je suis éreinté » disais-je à ma grand-mère de retour d’une randonnée en montagne. D’un air entendu avec mon grand-père, elle me répondit comme souvent que c’était de la bonne fatigue. Je n’ai jamais compris cette formule qui, chaque fois, me rend fier ! C’est pourtant une expression banale digne de mes exploits les plus simples. Mais qu’elle n’utilise pas dans toutes les circonstances. Car si cette ineptie peut satisfaire l’aventurier du dimanche, elle pose sur le fond une question bien plus importante : qu’est-ce que de la bonne fatigue ?

 

“Alors tu me dis oui Claudy, c’est vrai je suis tendue, je ne suis pas à mon aise.”

Qu’est-ce qui n’est pas de la bonne fatigue : son opposé. La mauvaise fatigue donc. Inutile d’être un philosophe pour comprendre ce que cela peut représenter, chacun à son niveau peut y arriver. Par exemple pour moi, jeune travailleur, la mauvaise fatigue est immédiatement assimilée aux réveils nauséabonds les lendemains de soirée sans lendemain. Ou bien par la nuit blanche éclairée à coup de jeux-vidéos ou de livres. Une vie de patachon qui prend le dessus quand je file un mauvais coton, voilà comment ma bonne femme de grand-mère résumerait la mauvaise fatigue ! 

La mauvaise fatigue semble être toujours accompagnée d’un dérèglement qui détruit notre énergie, celui d’un rythme, d’un corps ou d’un cycle de sommeil. 

 

Le combat ordinaire 

Mais alors, si mauvaise fatigue = mauvais sommeil alors bonne fatigue = bon sommeil ? Non, pas seulement. Car c’est ce que nous allons faire suite à ce bon sommeil qui constituerait ou non une bonne fatigue selon ma grand-mère. Jamais vous ne l’entendrez me féliciter après une grosse journée au travail ! Même après dix heures passées le dos courbé sur une chaise de bureau, la tête penchée, le cou plié, les jambes et les bras mous. Pas même après une journée de déplacements professionnels à Paris ponctuée par d’épuisants problèmes de transport. Pas un mot. Rien. Si ce n’est une plainte partagée. C’est à ne plus rien comprendre ! La vieille n’a pourtant rien contre les métiers du tertiaire. C’est seulement que, sans réellement en prendre conscience, elle ne voit pas dans ces métiers une bonne fatigue. Et pourtant je reviens bien plus fatigué après une telle journée qu’après six heures de marche dans la forêt.

 

Fatigue

Mathieu Amalric dans “Un conte de Noël” d’Arnaud Desplechin (2008)

 

“Une rock’n’roll attitude” 

Qu’est-ce qui peut alors distinguer la fatigue et la bonne fatigue ? Utilisons un exemple qui pourra peut-être nous aider. Ivan Illich, dans son essai Energie et Equité, apporte un argument éclairant. En comparant la vitesse d’un cycliste et d’un automobiliste, il arrive au surprenant résultat que le cycliste est plus rapide que l’automobiliste. Pour cela, en plus de considérer le temps de déplacement, il prend également en compte le temps de travail nécessaire pour payer l’objet et les frais annexes (carburant, parking, assurance…). Travailler pour se payer une voiture afin d’aller au travail est donc une perte de temps et de l’épuisement inutile.

Voilà peut-être ce petit quelque chose qui choque inconsciemment la logique de ma grand-mère ! Pour autant, face aux impératifs de la vie, comment tenter d’améliorer ce fatalisme moderne ? En utilisant notre énergie pour en faire de la bonne fatigue ! Il me semble que cela peut commencer par faire confiance en nos capacités. Se déplacer en ville à vélo est une première étape, pour reprendre notre exemple. Mais il peut être généralisé dans tellement d’autres domaines. En faisant un travail avec du sens, en faisant grandir une passion enrichissante, en s’intégrant dans une intelligence collective plutôt que dans une logique de profit individuel : en ayant de beaux objectifs de vie.

Ainsi, je suis certain que si Romain lui parlait de son projet de volontariat en Indonésie, pour accompagner des jeunes des bidonvilles à obtenir un travail décent afin de sortir de l’exclusion, ma grand-mère hocherait la tête. Inconsciente des enjeux, la ride sérieuse, et sans aucun autre fondement que son bon sens, elle affirmerait que ce projet est pour lui de la bonne fatigue !

 

Photo de couverture : “Le troubadour fatigué” de Giorgio de Chirico

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23 septembre 2020 12 h 49 min

Pour moi, la bonne fatigue, c’est surtout la fatigue après une activité qui nous a fait du bien. Le week-end, quand on fait une randonnée, une marche, des activités comme le canoë, etc.. On est fatigués parce que notre corps n’est pas habitué, qu’on a utilisé des muscles différents de d’habitude. Mais lorsqu’on a terminé cette activité, on a la tête plus légère, on a décompressé.
Quand on rentre du travail, on a réfléchit, on a eu des soucis, on s’est tenu dans de mauvaises positions, on a fait face à des difficultés… C’est de la mauvaise fatigue qui joue sur notre moral. Même pour quelqu’un qui fait un travail physique. Il fait son travail par contrainte, car on doit bien travailler pour vivre. Les activités de loisirs sont faites par choix, par envie, sans besoin de respecter un délai, sans pression.

11 février 2020 18 h 47 min

La sagesse naît de l’expérience et est donc l’apanage des aînés 😉