Polars VS Polaroid : Le détective Nestor Burma à Paris

par Baudouin Duchange
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Le polar est la catégorie littéraire la plus ambitieuse : seuls des écrivains de génie parviennent à convaincre des lecteurs du réalisme d’un meurtre, de la réalité banale d’un mobile et de la crudité d’une âme humaine perpétuellement agitée entre l’ange et la bestialité.

Dans cette discipline olympienne, l’écrivain Léo Malet est le meilleur en France. Sa recette ? Nestor Burma, un détective privé de choc, ni bon ni mauvais, comme vous et moi. Un meurtre (souvent plus) par arrondissement de Paris. Et surtout, un style d’écriture unique, brute et vivant comme le fut la deuxième moitié du XXème siècle traumatisée après deux guerres mondiales.

Avec la photographe Héloïse Barreau, nous vous proposons donc de plonger sur les traces des « Nouveaux Mystères de Paris », écrits dans les années 50, en éclairant 12 extraits des romans avec des images parisiennes d’aujourd’hui. Un écho anachronique sur la permanence de notre humanité.

 

LIVRE I – DES KILOMÈTRES DE LINCEULS (2ÈME ARRONDISSEMENT)

« A part eux, il ne restait plus personne dans l’établissement. Sauf les morts, au nombre de deux. Dans des costumes  à 50 000 balles, sans compter celles qui avaient fait des trous dedans, ils gisaient, l’un au pied du comptoir, l’autre  en travers d’un billard électrique »

 

 

« Les autos, débouchant des rues d’Aboukir et d’Alexandrie, se rencontraient, dans un espèce de goulet, avec celle venant de la rue Saint Denis, et cela faisait au total un jolie tintamarre de klaxons. Entre les bagnoles, vélos et scooters se faufilaient. Dans les cafés, les timbres des billards électriques retentissaient sans arrêt, les dés du 421 roulaient sur le zinc et un appareil à musique, étincelant de tous ses chromes, notait, sous une auditive crème sirupeuse, le brouhaha des conversations »

 

« Je cherchais dans les profondeurs de ma mémoire si une ancienne relation répondait à ce portrait. Personne ne répondit. »

 

« On avait brisé son violon et il était plus achevé qu’une symphonie »

 

« S’ébattant dans une gouttière proche, des piafs piaillaient à tout berzingue. Quelquefois, le vol coupant de l’un d’eux zébrait le ciel de Paris sur lequel s’ouvraient les fenêtres à tabatière. »

 

« Des écrans de cinéma pour le rêve ? Des draps de lit pour l’amour ? Des linceuls, pas autre chose.»

 

LIVRE 2 – FIÈVRE AU MARAIS (3ÈME ARRONDISSEMENT)

« La seule chose qui rappelât le Printemps était la douceur caressante de la brise qui soufflait. Un lac s’était formé devant une bouche d’égout à la capacité d’absorption réduite, et les autos qui ne faisaient rien pour l’éviter soulevaient en le pénétrant des gerbes d’eau sale qui giflaient le trottoir. Sauf devant cette énorme flaque, les gens circulaient paisiblement. Ils passaient devant la maison tragique sans se douter qu’on venait d’y commettre un assassinat, un vol et un matraquage, tout cela dans un court laps de temps. Un record de productivité. Un boulot  bien fignolé qui faisait honneur à ses exécutants. Le quartier du Marais, c’est bien connu, est réputé pour la savoir faire de ses ouvriers, les meilleurs depuis toujours »

 

« Migraine à part, je me sentais infiniment mieux que la veille à pareille heure. Je possédais cinquante mille balles de plus et les fonds influent sur la forme »

 

« Je la suivis. D’assez jolies jambes, gainées de bas un peu trop fins pour les besoins du service. Elle s’apprêtait à partir au bal, rue des Vertus ou ailleurs. »

 

« Et voilà. C’est peut-être votre mère la coupable. Elle est tête folle et ne s’est jamais occupée sérieusement de  vous. Vous appartenez à une génération, je ne dirai pas maudite, mais presque. Les enfants de cette cochonnerie  sanglante appelée guerre ; les enfants de la débâclé, de toutes les débâcles ; les enfants de l’Occupation, et des occupations délictueuses ; les enfants de la Libération, et la libération des conneries. »

 

LA NUIT DE SAINT GERMAIN DES PRÉS (6ÈME ARRONDISSEMENT)

« Je tins bon jusqu’à cinq heures en compagnie de mes journaux. Mais à cinq heures et demie, je coiffais mon galure et pris la direction du village, la bouffarde au bec. On ne se refait pas. Même si, des fois, on se fait refaire »

 

LES RATS DE MONTSOURIS (14ÈME ARRONDISSEMENT)

« Il y a plusieurs heures qu’elle a avalé son bulletin de naissance »

 

Photographie : Héloïse Barreau

Texte : Baudouin Duchange

 

 

 

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Thierry DERISTAL
6 septembre 2022 17 h 21 min

On retrouve ce genre d’atmosphère dans Brassaï « Paris la nuit », mais avec une préface de Paul Morand (un autre univers que celui de Léo Malet

25 juillet 2022 16 h 50 min

Bonne idée ! Les photos ont une atmosphère qui se prête impeccablement aux mots.