Le Lévrier, épisode 1 : Grégoire

par Romain Mailliu
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Le lévrier

 

Cet article est la première partie d’un projet s’étalant sur plusieurs épisodes. Vous voulez savoir si Norbert est toujours vivant ? Laissez-moi un commentaire !  

 

Les Cumulus glissaient sur le château d’Edimbourg, offrant les remparts à la lumière du soleil par brève interruption. C’était comme si le ciel formait un stroboscope géant, mais en plus lent et sans musique latino. Août 2022, les pics de températures donnaient à parler aux scientifiques qui alertaient sans relâche sur le réchauffement climatique ; et aux citoyens comme les autres qui trouvaient le temps plus chaud que l’année précédente. 40°C à Paris, 39°C à Londres ; à Edimbourg il faisait tout juste assez chaud pour retirer son manteau.

Les premiers pas de Norbert dans cette ville de 490 000 habitants, faite de maisons en pierres grises, de ruelles en pierres grises et de pierres tombales en pierres grises – seuls le gazon et la bière n’étaient pas en pierres grises – le ravirent. Il réalisa même qu’il développait une admiration à la limite du fétichisme pour les pelouses écossaises, plus vertes que celles des stades de foot du Qatar. 

Sachez que les pays du golfe et leurs projets d’infrastructures dans le désert constituaient un sujet de prédilection pour Norbert. C’était même devenu l’expertise du Hedge fund pour lequel il consacrait chaque semaine 80 heures de capacité cérébrale. Son chef Hippolyte – Portfolio Manager – allait jusqu’à dire qu’avec les investissements liés à la coupe du monde 2022, il jouait sa future maison de vacances dans le golfe du Morbihan. “Finalement tous les banquiers n’ont pas des rêves démesurés”, s’était dit Norbert, ou alors la vie était devenue tellement chère que les financiers de la City avaient aujourd’hui les mêmes rêves que les bons pères de familles catholiques. 

Le rôle d’un Hedge fund, il ne l’a jamais vraiment trop compris. Enfin, au-delà de gagner de l’argent, ce qui peut être un but en soi quand on en gagne suffisamment.  En cherchant sur internet une description plus explicite, car il sentait que les motivations de l’homme contemporain changeaient – son salaire ne suffisait plus à expliquer son travail – il découvrit cette définition :  

L’objectif d’un hedge fund – à travers une gestion opaque et des investissements risqués – est la maximisation du rendement et la préservation du capital. 

 

Extrait du loup de wall street de Martin Scorsese (2013)

Extrait du loup de wall street de Martin Scorsese (2013)

 

Pour la gestion opaque, c’était certainement vrai. Pour la prise de risque, Norbert n’avait pas connu l’adrénaline depuis un accident de ski il y a plus d’un an. Mais cela était sur le point de changer…

 

Ce soir, c’était le grand soir. Il allait enfin montrer à ses amis, à qui il faisait la morale en leur expliquant que l’amour se trouvait en bousculant une étudiante à la bibliothèque Sainte-Geneviève et non sur Tinder, qu’il était un brin prétentieux. Les sites de rencontres, il n’y avait jamais mis les pieds. Car cela manquait de panache, ou surtout par peur du refus d’intérêt. Tout le monde vient y faire son marché, si ça ne match pas c’est que l’offre ne correspond pas à la demande, un point c’est tout. Norbert n’était pas à l’aise avec le fait de ne pas provoquer d’intérêt. Il faut dire qu’il savait être désirable, bien que n’étant pas non plus un grand prédateur. Disons que Norbert savait plaire aux femmes qui ne lui plaisaient pas.

Ce soir, il avait rendez-vous avec Julie, une française de 26 ans comme lui. Sa bio indiquait qu’elle était une ancienne étudiante en histoire de l’art, venue à Edimbourg pour le festival de théâtre. Bien qu’ayant accepté l’idée d’aller au cinéma seul, Norbert ne l’avait jamais fait pour le théâtre. Ce match Tinder avait donc deux objectifs : celui de tous les matchs Tinder et celui de se rendre au théâtre en bonne compagnie.

 

Norbert avait installé Tinder le lendemain de son arrivée à Edimbourg, alors qu’un énième ami lui annonçait son mariage. Il y avait eu comme un impératif, une réaction de mimétisme presque animale :  ne pas avoir de copine devenait de plus en plus louche. Bien que la ville d’Edimbourg soit déjà inscrite dans l’histoire du monde moderne, Norbert était prêt à lui faire une place dans l’histoire de sa vie sentimentale. Julie, brune, cheveux mi-longs, 1m69, un tatouage discret sur l’épaule gauche – une fleur ou un oiseau ? – un débardeur blanc laissant deviner deux tétons souverains, avant-garde d’une poitrine discrète – du 85B ? –  lui avait tout de suite plu. 

Sa deuxième photo la montrait tout sourire en train de danser lors d’une rave en plein air, peut-être le Eastern Electric festival à Londres ou le Zurück zu den Wurzeln à Berlin, entourée d’êtres humains de son gabarit, élégants et branchés. Le compte Tinder de Julie était connecté à son compte Spotify, avec une bonne line-up de DJ underground. On y trouvait également une playlist – il fallait scroller un peu – nommée “Douce France 🇫🇷 », qui regroupait des morceaux inédits de Brassens, Brel, Gainsbourg. C’est ce qui avait poussé Norbert à envoyer un « super like ».

Après une conversation assez académique : « Hello, What are you doing in Edimbourg ? » ; « Ah toi aussi tu es français » ; « On va prendre un verre ? », Julie et Norbert avaient rendez-vous au Ryrie’s Bar. Il était 19h et la lumière de fin d’après-midi pluvieuse faisait briller la mousse encore humide qui s’étendait sur les maisons. Avec ses vitraux colorés et hauts plafonds, le pub prenait des allures de cathédrale.

 

Norbert était à l’heure. C’est l’une des compétences pré-requises quand on fait de la finance, comme l’orthographe et la rigueur. Ce sont des attitudes qui reflètent plus un savoir vivre qu’un savoir-faire, en d’autres mots une bonne éducation, qui restaient majoritairement appréciées par les directions d’entreprises un brin conservatrices. “Julie ne sera pas à l’heure, c’est une artiste” s’était dit Norbert un peu honteux. Et Julie n’était en effet pas encore là.

Elle n’était toujours pas là à 19h30, ni à 20h. Norbert, en bon capitaliste, voyait les échecs comme des opportunités inopportunes. Il bu donc une pinte de Black Isle, puis deux, et un whisky Arran 10 ans d’âge pour fêter les 20h30. Il était maintenant accoudé au comptoir, bien décidé à remplacer Julie par Susie, Maggie ou Chelsey. Et c’est Grégoire, VP M&A a la Société Générale, le seul Français du bar, qui engagea la conversation. Le genre de mec qui demande au tabac de Brive-la-Gaillarde s’ils prennent l’AMEX. Grégoire profitait des vacances pour se livrer à sa passion : le vélo. Il n’y a que les Français pour prendre 3 semaines de vacances en Août et faire le tour de l’Ecosse à vélo s’était dit Norbert. 

 

Vincent Blancho, Chalonnais de 21 ans, avant son tour d’Ecosse en vélo. Photo Amélie Blancho

 

Entre financiers français, la conversation se déroula le plus simplement du monde. Ils avaient d’ailleurs des amis de classe préparatoire en commun, c’est à peine si le père de Norbert n’avait pas couché avec la mère de Grégoire. Norbert, qui commençait à avoir la tête trop embrumée pour espérer trouver un meilleur parti, décida de raconter son date ratée à Grégoire, qui l’écoutait d’une oreille attentive, celle des gros deals.  

« J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle » finit par lui dire son compagnon. 

« La bonne nouvelle c’est que je connais Julie. On a matché sur Tinder il y a 4 jours et on a bu une bière il y a deux jours. C’est elle qui m’a fait découvrir ce bar. 

La mauvaise nouvelle, c’est que Julie ne couche pas le premier soir. » 

Norbert regarda Grégoire pensif puis commanda un Gin Tonic.

 

Le marché de la séduction est un secteur compétitif. C’est le jeu, on le sait. Pourtant, soudainement, Norbert eu très envie de foutre son point dans la gueule de Grégoire. La colère l’avait envahie d’un coup et il peinait à en trouver la cause. Le fameux verre de trop ? Un vide sentimental négligé trop longtemps, alors qu’il s’affairait au travail dans l’espoir de devenir “quelqu’un” ? Tomber sur un collègue pendant les vacances ? Il se ravisa quand Grégoire lui parla des vacances de Julie. Elle devait aller hier soir à un vernissage ou une soirée à thème, peut-être un peu des deux. Des collectionneurs invitaient les artistes en vogue dans un château en Ecosse. Julie allait y présenter des tableaux et y rencontrer des amis du “secteur”. Il l’imaginait bien se promener le long de remparts venteux, un bruit de Cornemuse perdu dans le brouillard ; se réveiller dans un lit à baldaquin puis poser ses pieds nus sur la moquette rouge de la chambre. La colère grondait, était-ce donc le vide sentimental  ? Pour couper court à cette réflexion douloureuse, Norbert se leva et planta finalement son poing dans la gueule du barman.

 

Il regretta tout de suite son geste, terrifié. Le barman, colosse Ecossais à la barbe de viking, ne broncha pas. Il se contenta de retrousser ses manches et saisit un petit marteau en or, avec lequel il frappa la cloche qui surplombait son comptoir. Le son couru le long des murs et le silence se fit peu à peu. Norbert commençait à se demander s’il n’était pas vraiment dans une église. Un cercle se forma autour d’eux et le colosse démarra la liturgie .  Les règles étaient simples : une gifle, un shot. Le premier qui tombe a perdu. Un protocole radical pour transformer les bagarres en événement fédérateur : du vin et du sang pour le peuple ! Norbert aperçut Grégoire baisser la tête, en s’effaçant derrière la foule. Le barman commença, avec une claque volontairement sous dimensionnée – qui n’annonçait rien de positif pour la suite – puis bu son shot d’un coup sec. Norbert, se sachant perdu, décida de se conduire en grand prince. La gifle, il se la donna à lui-même. La foule le regarda avec un sourire triste – expression d’une empathie touchante – puis ce fut le trou noir.

 

Cet article est la première partie d’un projet s’étalant sur plusieurs épisodes. Vous voulez savoir si Norbert est toujours vivant ? Laissez-moi un commentaire !  

 

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3 commentaires

Mathilde 6 octobre 2024 - 15 h 03 min

Quand sort le second épisode ? J’ai adoré, hâte du prochain !

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Mots Vagabonds by Clément 6 octobre 2024 - 12 h 14 min

Excellent !! L’auteur, avec un style empreint d’humour et d’ironie, peint des portraits subtils de personnages tout en explorant l’absurdité des relations modernes et la quête de sens dans un monde capitaliste souvent déshumanisant. L’équilibre entre une prose élégante et des dialogues incisifs donne un rythme fluide à l’ensemble, tout en laissant une réflexion douce-amère sur la condition humaine. Mon avis : cet épisode inaugure un projet prometteur et captivant, qui donne envie de découvrir la suite des aventures de Norbert. Un excellent début d’une série littéraire à suivre avec attention !

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Anna 29 septembre 2024 - 17 h 08 min

Je me demande ce qu’il se passe pour Norbert, je pense qu’il devient pote avec le barman

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