#8 Une virée à Singapour

par Prends Ta Dose
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 Le contraste est saisissant. Difficile de trouver des points communs entre Cilincing et Singapour, même le ciel étoilé, repère universel pour tous les voyageurs du monde, semble ici différent. J’ai l’impression d’évoluer dans un décor de cinéma impeccablement préparé, nettoyé, poncé, frotté, arrosé, gominé.  Je m’élance le long des trottoirs que je peux arpenter sans risque, ils sont ici pour moi, piéton, que Jakarta semble si souvent avoir oublié.

 Pas un morceau de plastique ne traîne sur le sol, pas une feuille d’arbre, pas un mégot de cigarette, rien. À Singapour, le gouvernement a trouvé un moyen efficace pour lutter contre les incivilités : les amendes. 

 

TOP 5 des lois insolites à Singapour passibles d’amendes allant jusqu’à 5000 euros :

  • Souffler sa fumée de cigarette vers quelqu’un 
  • Jeter quoi que ce soit par terre  
  • Mâcher un chewing-gum
  • Transporter des billets de Monopoly
  • Sortir des toilettes publiques sans avoir tiré la chasse d’eau

 

Force est de constater qu’aucun obstacle au sol ne peut s’en prendre à moi, je lève les yeux et scrute la nuit à la recherche du sommet des buildings. Ils sont si hauts qu’ils pourraient chatouiller les étoiles.

 

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La ville dans la forêt ou la forêt dans la ville ? 

 À Singapour, la végétation est omniprésente. Le long des routes, sur les terrasses des immeubles, dans les maisons. Il y a des jardins aériens, des murs végétaux, des restaurants végétariens… Seuls les SUV allemands font tâches dans cette Green City. En 2014 on recensait 1,4 million d’arbres dans la ville. Le paysage me rappelle les projets d’architectes que l’on trouve dans les revues branchées, sous un titre accrocheur : La ville du futur. Mais à Singapour, ces projets ont quitté le papier glacé pour sortir de la terre et prendre vie.

 À Singapour, les températures oscillent généralement entre 23 °C, le matin, et 32 °C, l’après-midi. Le climat est donc plutôt chaud et pourtant, l’herbe est toujours verte et les arbres en parfaite santé. Quelque part, dans mon cerveau d’ingénieur, une petite lumière s’allume. Combien de litres d’eau faut-il pour arroser cette ville parc ? Et si la végétation abondante n’était qu’une vitrine pour cacher l’air climatisé permanent, les lumières à tous les étages des buildings la nuit, l’absence de panneau solaire sur les toits ? Et si Singapour était un parfait exemple de greenwashing ? 

 Mais mon bus arrive et mon cerveau doit gérer une nouvelle problématique, plus terre à terre mais tout aussi fâcheuse : je n’ai ni ticket ni monnaie. Sauf qu’à Singapour, l’embarras n’existe pas, tout semble avoir été anticipé, réfléchi, résolu. Pas besoin de ticket, il suffit de poser sa carte bancaire sur la borne de validation et le tour est joué ! Je m’assois, et dans une circulation toujours fluide, je me laisse porter vers ma maison d’accueil.

 

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Ma maison d’accueil

 Je suis à Singapour pour récupérer mon VISA indonésien à l’ambassade d’Indonésie. Pourquoi ne pas récupérer mon visa directement en Indonésie ? Je ne sais pas, c’est comme cela. Un couple d’expatriés belges m’héberge le temps des démarches administratives. Ce sont des amis de mon ONG LP4Y.

 Leur maison est magnifique, remplie d’objets d’art provenant des pays dans lesquels ils ont vécu et voyagé. Une vie de route, j’ai des étoiles pleins les yeux. Je me prends à rêver à ma future vie d’expatrié, des buildings de Manhattan aux pyramides d’Égypte, de la muraille de Chine jusqu’aux bords du Mékong, partir travailler en Tok-Tok en Inde, construire avec mes enfants des igloos dans les forêts de Sibérie…

 

Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve une réalité

Antoine de Saint-Exupéry – Cahiers de Saint-Exupéry (1900-1944)

 

 

 Mais les rêves ne remplissent pas l’estomac. Retour à la réalité et j’ai faim. Je sors direction le quartier Indien à la recherche d’un thé chai traditionnel et d’un poulet tikka masala. À Singapour, le mélange culturel fonctionne à merveille. Ici, le melting-pot prend tout son sens. Au-delà des quatre langues officielles de l’île – que sont l’anglais, le chinois, le malaisien et l’indien -, Singapour est un carrefour de cultures, puisque 40% de ses habitants sont étrangers. Il suffit de s’aventurer dans la ville pour entendre parler toutes les langues du monde. La tolérance est donc de rigueur.

 

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Une rencontre intrigante 

 Sur mon chemin, je croise un magnifique canidé. La fourrure pimpante, le poil léger, l’œil vif, il promène sa maîtresse d’un pas nonchalant. J’hésite entre un lévrier afghan et un Basenji. Il n’y a rien à dire : C’est une belle bête. L’animal, fier comme un prince s’approche d’un arbuste, s’accroupit, et libère d’un jet puissant les vices indignent de rester trop longtemps dans un si noble animal. Sa maîtresse ne semble pas à l’aise. Elle regarde à gauche, à droite, puis se met à tirer sur la laisse et son chien, peu habitué à se faire trainer de la sorte, pousse des petits gémissements.

 C’est là qu’elle l’aperçoit, perchée en haut d’un lampadaire. Blanche, ronde, posée sur un pivot qui lui permet de tourner sur 360 degrés. Un de ces modèles qui peut même voir dans le noir.

 Elle s’arrête, brusquement, et fait lentement demi-tour. Elle sort de son sac Saint-Laurent un plastique, ramasse la crotte, et avec la pudeur d’une grande dame, laisse tomber son paquet dans la poubelle adéquate. Elle me regarde, je la regarde, une tension est palpable. C’est dans la détresse que née la complicité. Son chien tire la laisse, c’est un rappel à l’ordre. Elle se retourne, et poursuit la promenade.

 Chers lecteurs, les caméras sont omniprésentes dans la cité État de Singapour. Dans les passages publics, les métros et même les habitations… Toutes les résidences construites par l’État, où vit 80% de la population, sont dotées de tels équipements.  Les vidéos qu’elles enregistrent sont des preuves irréfutables pour tous les délits et vous l’aurez compris, à Singapour, on ne plaisante pas avec les lois. La tolérance n’exclut pas le contrôle.

 

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Le quartier Musulman

 Je finis par atterrir dans le quartier musulman, qui n’est pas le quartier indien mais les perspectives culinaires y sont toutes aussi intéressantes. C’est un agglomérat de petites maisons collées les unes aux autres, ornées de tapis d’orient, de lampes en or, de miroirs et d’énormes théières posées sur les tables des terrasses.

 Le quartier s’anime peu à peu mais c’est la nuit qu’il est conseillé d’y aller. C’est LE quartier pour boire un verre à Singapour. On y trouve les meilleurs « happy hours » de la ville ainsi que les alcools les plus exotiques. Au centre de ce lieu festif siège la Mosquée, grande dame raffinée, avec ses murs blancs et ses coupoles dorées. Quelques ornements viennent apporter à l’édifice une élégance sobre, ce qui aurait certainement plu à Léonard de Vinci qui disait : « la simplicité est la sophistication suprême ». Une mosquée au milieu des bars, Singapour est décidément un endroit surprenant.

 

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Parkview Square

 Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Assise entre deux buildings de verre vêtus, apparaît la Reine des Reines. Oh, ce n’est pas la plus grande, mais c’est de loin la plus élégante. Oh, ce n’est pas la plus souriante, mais s’en dégage la sagesse des lions d’Afrique. Je l’observe régner sur son royaume de tours, calme, intrépide. Le sang qui coule dans ses veines ne peut être fait que de glace et de roche. Comme un Iceberg, elle brille au soleil mais ne fond jamais. Que tu dois être seule dans cette ville où nul ne te mérite. Dame solitaire, j’aimerais t’emmener voir Chambord, Versailles, Chenonceau, pour briser ta solitude de marbre et de granite.

 La pluie se met à tomber. Oserais-je franchir les remparts art-déco de Parkview Square ? Il le faut.

 En pénétrant dans ce royaume, j’ai envisagé l’idée qu’en effet, c’est peut-être la beauté intérieure qui compte vraiment. Je me retrouve dans un bar, ou plutôt, devant le réceptionniste d’un bar. N’allez pas vous imaginer un pub anglais miteux qui sent le Fish and Chips, pensez plutôt à une bibliothèque boisée, abritée par de hauts plafonds peints, avec des fauteuils en cuir, en feutre et des lustres aussi gros que des soucoupes volantes. Maintenant, transformez les livres des étagères qui grimpent vers le ciel en bouteilles de Gin. Oh, reine de Singapour, que tu as bon goût. Dans ce bar, on trouve la plus grande collection de Gin du monde. Plus de 1 000 gins sont disponibles à la carte.

 « Il faut réserver monsieur, et respecter le dress code » m’explique le réceptionniste d’un air dédaigneux au possible dans son costume trois-pièces, alors que je m’approche du comptoir. Oh toi, Cyrano à quatre pattes, oui toi, amiral de bateau-lavoir, tu ne feras plus le fier quand je reviendrai, dans mon smoking en laine mérinos taillé sur mesure par les Napolitains. 

 Comme toutes les grandes dames, on ne peut donc pas t’offrir un verre si facilement. Tant mieux, je me rendrai digne de te mériter.

 

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La quête  

 Je me dirige donc vers les ascenseurs. Il y en a 9, en marbre blanc, et je me glisse discrètement dans le premier. J’appuie au hasard sur un numéro parmi une ribambelle de boutons, qu’on dirait en ivoire ou quelque chose comme cela. Décollage. La porte s’ouvre, je m’avance dans une grande salle aux murs blancs, au sol blanc et au plafond blanc.  

 Un homme est assis à un bureau blanc, et ne se préoccupe pas de moi. Où suis-je ? Je fais quelques pas, et je me rends compte que derrière cette salle, se cache une seconde salle, puis une autre, et une autre.

 Sur les murs blancs apparaissent maintenant des tableaux, des fresques, des sculptures. J’y observe des compositions photographiques insolites : des chaussures à talon prises d’assaut par des jouets pour enfants aux muscles saillants et à la peau rouge, verte ou blanche. Je tombe nez à nez avec une statue en silicone, un homme chauve avec trois bras, il fait ma taille, et porte un polo noir.  Il y a aussi un tableau d’une femme nue à qui l’on a collé un autre visage, un cheval sans tête qui apparaît dans le clair – obscure d’une peinture à l’huile… Je suis émerveillé, et un peu terrifié.

 

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Stupeur et tremblement

 Je change de salle. Cette fois-ci, les murs sont noirs et un compte à rebours m’indique qu’une expérience, je cite : il s’agit d’une œuvre orientée vers l’avenir, dont le moyen d’expression n’a pas encore été totalement compris, va commencer dans 10 secondes. Des sculptures d’hommes en plâtre sont positionnées un peu partout. Les lumières s’éteignent et apparaissent des néons rouges. Des enceintes diffusent de la techno minimaliste. Les ombres des sculptures se mettent à danser sur le mur et, dans le feu, dans les flammes, s’en suivent 3 minutes d’agression visuelle et sonore. J’ai l’impression d’être téléporté dans le film Climax de Gaspard Noé. Les lumières se rallument, plus un bruit, je change de salle.

 

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Ma reine me met à l’épreuve. Comme Lancelot, j’arpente tous les dangers pour espérer graver mon nom dans son cœur. La nouvelle salle est de nouveau blanche, et silencieuse : je vais pouvoir souffler un peu.

 Mais mon repos est de courte durée, J’entends maintenant des gémissements, des soupirs, parfois longs, parfois étouffés, qui viennent du fond de la pièce, d’une petite salle, fermée par des rideaux de satin noir.  Mais que vais-je donc trouver là ? L’imaginaire fonctionne à merveille mais je pense à Saint Thomas, éternel pragmatique, et je passe donc ma tête par les rideaux pour voir de mes yeux ce que tout le monde pense tout bas.

 Une petite télévision est posée à même le sol. Je m’approche, avec pudeur, et je découvre une scène cocasse qui, à vrai dire, et je ne vous cache pas en avoir un peu honte, ne ressemble pas à ce que j’avais imaginé. Un homme, s’électrocute, puis gémit, la lumière s’éteint, la lumière se rallume, un homme gémit, puis s’électrocute, la lumière s’étend, la lumière se rallume… vous avez compris.  

 J’aime le cinéma, les films d’auteur, enfin en parler, car devant le petit écran, il m’arrive parfois de ressentir l’ennuie, surtout devant les dialogues des films de la nouvelle vague aussi longs qu’un porte de Saint-Cloud – porte d’Orléans au retour des vacances. Mais ce n’est pas le sujet.

 

Aujourd’hui, les festivals de cinéma sont comme les congrès de dentistes. C’est tellement folklorique que c’en est déprimant

Jean-Luc Godard

  

 

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Je décide de ne plus jouer les héros, au diable ma belle dame, et je quitte cet endroit obscène et machiavélique. Je descends l’ascenseur, lance un doigt d’honneur furtif au réceptionniste et me retrouve dehors, à l’air libre. La pluie a cessé et le soleil chauffe la rosée sur les feuilles de palmiers, perles de lumière qui bordent Rochor road. 

 À une terrasse, un groupe de jazz entame les premières notes de Take Five de Dave Brubeck, des filles, lunettes de soleil sur le front et robes légères, s’en vont sur les berges de Marina Bay. L’une d’elles me fait un clin d’œil puis se retourne en riant. Un ange passe…

 La beauté de la vie s’exprime dans ses nuances.

 

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4 commentaires

popknel 11 février 2020 - 17 h 54 min

Quelle aventure !

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Romain Mailliu 25 mai 2020 - 6 h 51 min

n’est ce pas !

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Nannarone-Dangre 1 janvier 2020 - 10 h 29 min

Merci Romain de nous faire partager ton expérience.
C’est un plaisir de te lire.
Très bonne année à toi, beaucoup de réussite dans tous les projets que tu entreprends.
Bien chaleureusement
Frédérique

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Romain Mailliu 25 mai 2020 - 6 h 52 min

Merci beaucoup Frédérique 😊

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