#10 Bunaken : Entre poissons tropicaux et mèches blondes

par Romain Mailliu
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Bunaken

 

« Détends-toi, prends le temps, respire doucement, voilà, c’est mieux, chaque instant d’une nouvelle expérience mérite d’être dégusté ».

Palmes aux pieds, masque sur le nez et tuba dans la bouche, je nage vers le « mur », un gouffre à cent mètres de la plage, qui plonge vers les profondeurs de l’océan Indien. L’eau est si claire qu’on y voit à travers comme dans un aquarium. Des poissons verts, bleus, rouges, gris, noirs me regardent d’un oeil distrait. Mais après tout, qui regarde qui ? J’essaie d’en fixer un droit dans les yeux, avec mon regard le plus noir, le plus dur, comme pour lui dire “Mon garçon, on partage la même piscine maintenant, je pense que des présentations s’imposent”. Mais rien à faire, l’écaillé s’en va derrière un corail. 

« Bats des pieds, voilà, c’est bien, et si tu as de l’eau dans ton masque, tu peux souffler par le nez et l’eau s’échappera naturellement ! » m’explique Justin, mon collègue pour cette baignade de l’extrême. 

 

Bunaken

 

Une plongée avec le commandant Cousteau

Justin est australien. Il a 32 ans, des cheveux bruns, mi-longs, la peau bronzée, un coquillage au creux du cou, des rouflaquettes et un bouc à la Johnny Depp. Il loue une chambre dans le même hôtel que moi et on s’est retrouvé par hasard au bord de la plage avec la même idée : piquer une tête pour aller dire bonjour aux poissons. Justin est du genre généreux, pour ne pas dire bavard, il pense à voix haute et ne conçoit pas la solitude comme quelque chose qui peut parfois être agréable. Comme il me dira plusieurs fois pendant notre séjour : “ La solitude est une tempête de silence qui arrache toutes nos branches mortes”. J’aimerai bien lui dire que parfois, il faut couper les fleurs fanées pour qu’en éclosent de nouvelles. 

Justin nage vite, et quand il sort la tête de l’eau, je plonge ma tête dans l’eau. La technique de l’autruche, bien pratique quand on est dans l’océan et que l’on veut éviter la conversation. Allez faire l’autruche dans un bac à sable ou sur un parking, l’expérience n’aura pas la même saveur. Sauf que cette fois-ci, ça ne suffira pas. Justin me fait signe de remonter à la surface. Il doit avoir quelque chose de très important à me raconter.  

« Hier j’ai vu des tortues grandes comme ça » m’explique t-il les bras écartés comme le Christ rédempteur, « j’espère que tu pourras voir ça toi aussi, c’est un instant où tout s’arrête ! Suis-moi, je vais t’en trouver une ».

Je n’ose pas lui dire que j’en ai déjà vu des tortues, aux Galápagos, au Costa Rica, au zoo de Beauval, comme je n’ose pas non plus lui dire que j’ai déjà utilisé un tuba. Je ne sais pas trop pourquoi, peut-être que j’ai peur de sa réaction.  Imaginez qu’il me réponde : « Oh mais moi aussi ! Il faut que je te raconte : j’ai rencontré ma première tortue à 6 ans alors que je ne savais pas encore nager, dans une vitrine du Super Discount Mall de Sydney. La connexion fut immédiate et j’ai par la suite décidé de leur consacrer ma vie. Je viens d’ailleurs de terminer une thèse pour alerter sur la situation gravissime des tortues dans le monde que j’ai appelé : en 2025, les tortues auront disparu. J’explique, scientifiquement et spirituellement, le lien entre la baisse du niveau de l’eau des océans et le génocide des tortues en Océanie. Et toi, tu es déjà allé à Sydney ? ».  

« Roman, par ici, j’ai en trouvé une énoooooorme !

        I’m coming » et je me mets à battre frénétiquement des pieds pour le rejoindre.

 

Bunaken

 

L’île de Bunaken

Je ne sais pas si je vous ai déjà dit que je suis sur l’île de Bunaken, à l’est de Jakarta, pour une semaine de vacances. C’est à l’est mais comme la Chine est à l’est de la France, pas à côté. Bunaken se trouve au large du nord de l’île de Sulawesi. Pour m’y rendre, j’ai dû jongler entre les avions (2), les voitures (4), les motos (2) et, cerise sur le gâteau, clou du spectacle, the last but not the least, le bateau public du port de Manado. 

 

Bunaken

 

Bunaken, c’est l’île de la tranquillité. Un caillou dans l’océan. Encore peu connu des touristes australiens – je suis obligé de l’admettre, cette fois-ci, Justin a un coup d’avance –, ce petit coin de paradis dispose de tous les vices nécessaires pour passer la semaine les pieds en éventail. Plages de sable blanc, eaux turquoises, nature luxuriante, faune et flore généreuses, le lieu m’inspire déjà des aventures de pêches miraculeuses et des fuites à la Bonnie and Clyde, Interpol aux fesses et pourtant libre, nu sous les cocotiers.  Il y a même un volcan qui crache quelques bouffées de fumées, pour ajouter une touche de dráma au tableau.

 

Bunaken

 

 Les langages de l’amour   

« Tu sais Roman, quand je suis dans cet océan, et quand je nage avec les poissons, avec toi, alors que le soleil se couche au loin, je me sens profondément libre et heureux. »

 Justin, que me fais-tu là ?

« Tu sais, Julie, ma copine, je l’aime profondément. C’est un amour constructeur, il puise dans les faiblesses de l’autre pour construire des qualités qui ne peuvent s’exprimer que lorsqu’on est ensemble. 1 + 1 = 3 ou 4 et même 5 tu vois ? Nous deux plus nos qualités ! Je ne me suis jamais senti autant libre que depuis que je suis avec Julie. Tu imagines ? L’amour qui m’apporte la liberté. »

J’ai du mal à imaginer. Justin et Julie vivent-ils une relation libre ? « Open » ? échangistes ? Je ne comprends pas très bien le message qu’il essaie de me faire passer là.

« Avec Paloma, tout était si compliqué, la passion n’était que le fruit de disputes incessantes, de mensonges, ruptures et de retrouvailles »

Cette fois j’ai compris, Justin parle tout seul. Je m’éloigne doucement, puis plus rapidement, et je plonge une dernière fois sous l’océan, avec les poissons, et tout me paraît soudain plus calme et plus intéressant.

 

Le silence des bêtes est la double expression de leur dignité et de notre déshonneur. Nous autres, humains, faisons tant de vacarme …

Sylvain Tesson

 

 

Bunaken

 

La cabane du pêcheur 

J’ai loué une cabane avec une terrasse qui surplombe l’océan. Un lit, un accès à l’eau, des toilettes et un hamac, ce n’est pas Byzance mais ça me va très bien. Je passe la plupart de mon temps à lire, à marcher sur la plage, à rêvasser… Je me promène dans les villages et je discute avec les enfants.

On fait de grands gestes pour se faire comprendre, on s’amuse, on rigole. C’est simple, vrai, des émotions à l’état pur. Justin devrait discuter avec les enfants.

 Romain, tu es en train de devenir misanthrope ou quoi ? Tu ne peux pas passer ton temps à parler avec les bambins et les poissons ! 

Va discuter avec les touristes, boire une bière avec cette jolie blonde et ces grands yeux bleus qui plairaient tant aux poissons du lagon. Poisson, poisson, poisson, tu n’as donc que ça dans la tête ?

 

Bunaken

 

Le grand bleu

C’est décidé, je me lance, je vais proposer à cette fille d’aller boire un verre ! Mais avant je prends une douche. « Salut moi c’est Romain, tu viens d’où ? Tu aimes la plongée ? Je connais un endroit avec des tortues qui nagent dans une eau aussi belle que tes yeux. » Ringard.

Esprit de la séduction, viens-moi en aide… Oh entend moi, vénérable esprit, sur la petite île de Bunaken, à l’est de Jakarta, bien à l’est, un jeune disciple t’invoque et t’acclame ! 

L’eau de la douche est fraîche. Elle vient calmer les ampoules qui jouent les guirlandes de Noël dans mon cerveau. Romain, discuter avec une jolie fille n’a jamais était un problème !  

Bien que les – jolies ? – filles soient le problème de ta vie ? N’exagérons pas. Prends un peu sur toi, fais un effort, ce n’est ni la première ni la dernière fois. J’enfile mon t-shirt, puis une chemise, et de nouveau mon t-shirt, je passe un coup de peigne dans mes cheveux et je descends une dernière fois sur la plage, juste 5 minutes Romain, tu ne vas pas te dégonfler.

Le coucher de soleil est à couper le souffle. Un soleil rouge braise se glisse derrière le volcan et projette sa lumière sur la fumée qui semble comme s’enflammer. Et la mère d’huile reflète cette caresse entre le feu et la roche.  

Un « Hellooooooo » résonne dans mon dos. Le ton sonne « féminin ».  Malédiction, faites que ce soit Justin, qu’il est attrapé une angine blanche, un cancer de la gorge, n’importe quoi, mais faites que ce soit lui.

« It’s beautifuuuullll, as a dream, as sweet a dream… » la voix est juste derrière moi, il va falloir faire face. Je me retourne, ni trop vite, ni trop lentement, et je tombe face à deux yeux bleus, curieux et rieurs, encadrés par de jolies boucles blondes.

« My name is Helène, I come from Norway, and you? 

– I’m Romain, and I like fishes” 

Je prie pour que le volcan explose, là, maintenant.

 

Bunaken

 

À suivre….

 

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