Parcours : du kitesurf à l’insertion professionnelle dans les bidonvilles (2/2)

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LP4Y

 

Au bout d’un an de mission avec le mouvement Life Project 4 Youth (LP4Y) en Inde puis aux Philippines, une formation de deux jours me fait réaliser l’impact de mes talents sur ma façon de travailler. Elle me permet de comprendre mes choix de vie, du kitesurf au coaching de Jeunes dans les bidonvilles, en passant par la conduite de travaux (voir partie 1/2). La formation en question s’appelle le “Mode Opératoire Identitaire Itératif (MO2I)”. 

Cet article est la seconde partie d’une réflexion sur cet itinéraire atypique. Par ici pour lire la première partie.

 

Life Project 4 Youth (LP4Y) est un mouvement présent dans 14 pays dont la mission est le développement de solutions innovantes pour l’inclusion professionnelle et sociale des Jeunes (18-24 ans) issus de l’extrême pauvreté et victimes d’exclusion. LP4Y soutient l’inclusion de milliers de Jeunes et de leurs familles dans 48 programmes en Asie, au Moyen-Orient, en Europe et en Amérique.

 

Le Mode Opératoire Identitaire et Itératif (MO2I) est une méthode pour découvrir et définir votre domaine d’excellence. Les deux jours de formation aboutissent à la formulation d’une phrase définissant un mode opératoire qui vous est propre, c’est-à-dire le processus d’action dans lequel vous êtes, sans en avoir conscience, en excellence (donc en maîtrise, et surtout en plaisir !).

>> Découvrir la partie 2 

Excellence d’action

En plus de ma soif de défis et de mon goût pour l’adrénaline (voir partie 1⁄2), le mot “comprendre” est sans cesse revenu lors de mes deux jours de stage. J’exprimais en fait un désir et une capacité à trouver les mots pour expliquer une situation. D’autre part, que ce soit aux jeux, en sport ou dans la vie en général la notion de compétition et d’adversaire est omniprésente. 

Avant de partir avec LP4Y, j’étais conducteur de travaux chez Vinci à Paris. En plus de l’adrénaline qu’on y trouve, c’est la partie humaine qui m’a attiré sur les chantiers. 

Ce qui m’intéressait, c’était le conflit avec un syndiqué, une dispute entre deux sous-traitants, la gestion d’un ouvrier imbibé d’alcool. Challenger mes collègues sur leurs prises de décision, analyser les différences culturelles au sein du chantier, étaient tout autant des sources de motivation.

Je considérais comme une chance de pouvoir échanger avec le manœuvre (fonction d’homme à tout faire) érythréen arrivé en France quelques mois plus tôt. C’était passionnant de discuter avec le maçon portugais, qui me louait son pays pourtant quitté à l’âge de 16 ans pour un salaire plus attractif. Ou de finir à 23h pour accompagner le plaquiste polonais explosant ses heures de travail pour ses rêves de fortune. Et aussi apprendre de mes collègues Mahmoud, centralien ayant grandi dans une cité de Saint-Ouen, et Philippe, fils d’agriculteur de la campagne troyenne. 

Seulement, faire une analyse sociétale du chantier n’était pas vraiment ce qui m’était demandé. 

Dans ce travail, les moments où mon excellence se déclenchait étaient trop rares à mon goût. Réfléchir sur la section d’une poutre, négocier la qualité du parquet ou discuter de l’itinéraire des réseaux de plomberie, étaient source d’ennui pour moi.

Où allais-je donc pouvoir mettre mon excellence au cœur de mon travail ?

 

Le syndrome de l’imposteur

Quand on découvre son excellence, on est souvent déçu. On se demande comment quelque chose que l’on fait avec tant de facilité peut être autant admiré par les autres. Banaliser son excellence est alors une réaction classique. Pire, on peut culpabiliser de se faire payer cher pour ce talent. Alors que c’est justement là où on vaut le plus. On appelle ça le syndrome de l’imposteur.

Ce phénomène n’épargne personne, pas même les plus grands. Jean Sébastien Bach disait sur son lit de mort : “J’ai juste travaillé avec application”. Albert Einstein affirmait : “Je n’ai pas de talent spécial, je suis seulement curieux avec passion”. Alain Resnais, considéré comme l’un des grands représentants de la Nouvelle Vague du cinéma français, confiait à l’Express en 2012 : “Je ne suis pas un auteur, juste un bricoleur”. Et enfin ma femme, Albane, répétait la semaine après la formation : “Mon excellence est nulle”, “Ce que je fais, tout le monde peut le faire”. Son excellence est d’impulser des projets porteurs de sens.

 

Le génie ne peut expliquer scientifiquement comment il réalise son produit.
Emmanuel Kant

 

Assimilation de son excellence

Pour qu’une excellence s’impose et rayonne, il faut d’abord qu’elle soit reconnue puis déclarée. Le chemin vers l’assimilation de son excellence dure entre 6 mois et 2 ans. Comme je l’explique dans la partie 1/2, cette formation a eu un effet radical sur ma vie et m’a permis de comprendre beaucoup de choses. Quant à mon excellence : les défis me mettent en action, l’adrénaline est mon carburant, et essayer de comprendre l’autre et de se mettre dans sa peau est quelque chose qui m’anime. 

Après un récent échange avec mon amie coach de la méthode, Noémie (voir partie ½), j’ai compris que j’aime vivre des situations extrêmes, face à un adversaire (le joueur, le vent etc..), pour comprendre les différents points de vue et trouver les bons mots pour faire avancer les choses.

Si j’aime tant mon expérience à LP4Y, c’est que les défis plein de sens y sont quotidiens, l’adrénaline intervient par la nouveauté et l’adaptation permanente, et la notion de perspective dans mon rôle de coach est capitale.

 

LP4Y : un environnement propice à exprimer mon excellence

A LP4Y, le maître mot est le “let-it-go” (lâcher prise). L’expérience LP4Y, c’est tout quitter pour partir à l’autre bout du monde travailler pour l’inclusion sociale et professionnelle des plus exclus. C’est aussi s’adapter à une culture et aux codes de la pauvreté, à un climat et un régime alimentaire. Lors de vos 2 ans de mission, on attend de vous un certain degré de professionnalisme dans un poste et un pays que vous n’avez pas choisis, et que vous viviez en communauté avec vos collègues. C’est de loin la plus belle expérience de ma vie. Je m’y suis épanoui comme nulle part ailleurs.

C’est aussi l’expérience la plus exigeante que j’ai pu vivre. Se confronter à la dureté de la vie des bidonvilles, s’habituer à la frugalité, et s’adapter à la vie communautaire, est une mission impossible sans ce fameux “let-it-go”. Il signifie pour moi de rester humble, de faire confiance, et d’accueillir ce que la vie me donne.

 

Bienvenue dans un nouveau monde, ouvrez vos sens, et lâchez-prise.

 

Inde

Inde – © Albane d’Harcourt

Inde – © Albane d’Harcourt

Inde – © Albane d’Harcourt

Inde - Thomas

Inde – © Albane d’Harcourt

 

Inde – © Albane d’Harcourt

 

Philippines

 

Philippines – © Thomas d’Harcourt

 

Perspective

Nous avons beau vivre dans la frugalité et habiter à deux pas des bidonvilles, jamais nous ne pourrons comprendre l’exclusion.

Le couple fondateur du mouvement LP4Y a tenté l’expérience de la pauvreté matérielle. Après avoir vendu tous leurs biens, tout ce qu’ils possèdent tient désormais dans un bagage cabine. Cela leur permet de se libérer de beaucoup de contraintes mais ne suffit pas, comme ils en témoignent, pour appréhender la perspective des plus exclus. Les 40 ans de vie entrepreneuriale réussie et de vie de famille épanouie leur donnent un niveau d’estime de soi très difficile à atteindre pour un Jeune qui a grandi dans un bidonville (cliquez sur le lien !). Ils ont aussi toujours la possibilité d’appeler à l’aide en cas de pépin de santé. Cela biaise inévitablement la perspective.

Malgré un engagement total à défendre la cause des plus exclus, les fondateurs d’LP4Y ont compris que laisser la parole aux principaux concernés est indispensable pour trouver des solutions pour l’inclusion. La solution doit venir des pauvres. Le mouvement ATD Quart Monde, dont LP4Y s’inspire, se bat pour leur donner la parole depuis 65 ans déjà.

Dans le livre La Cité de la Joie, le personnage de Paul Lambert (inspiré du père François Laborde) fait l’expérience de la vie parmi les pauvres, comme les pauvres. Dans les conditions extrêmes des bidonvilles de Calcutta, il refuse tout soin médical ou autres privilèges liés à son statut d’occidental, et ce même dans les moments les plus critiques. A-t-il pu un jour parler avec la voix du pauvre ?

 

Mon excellence mise à l’épreuve

J’ai donc abordé ma mission de coach avec le postulat que, venant d’un milieu privilégié, il m’est impossible de comprendre l’exclusion. Un constat qui ne met pas à l’abri de certaines désillusions.

Imaginez le tableau : LP4Y propose des formations dans des locaux au cœur des bidonvilles. Les Jeunes, entre 18 et 24 ans, rejetés du cursus scolaire, y sont accompagnés pour sortir de l’exclusion. A la clé, des opportunités de travail dans des entreprises prêtes à se mobiliser pour l’inclusion.

Aujourd’hui, ces Jeunes sont souvent usés par des travaux éreintant ou astreints aux tâches ménagères par leur famille. Un Jeune qui rejoint un centre de formation LP4Y, c’est une ressource financière ou humaine en moins pour sa famille. Pour pallier ce manque, LP4Y a développé un système d’indemnité. Celui-ci fournit aux Jeunes de quoi payer les besoins quotidiens et les dépenses liées à l’intégration professionnelle (vêtement, transport, papiers d’identité, frais médicaux pour arranger une dentition trop excluante etc…). Comment refuser une telle opportunité ?

Quand le bouche à oreille ne suffit pas, nous allons mobiliser en frappant aux portes (pardonnez-moi l’expression, rares sont les portes dans un bidonville). Les Jeunes du centre déploient toute leur énergie pour témoigner des bienfaits de LP4Y. Malgré cette proposition “en or”, nombreux sont les Jeunes qui préfèrent continuer leur vie actuelle, à trimer ou à rester chez eux à ne rien faire. Timidité ? Peur ? Si c’est parfois frustrant de les voir refuser une telle opportunité, qui sommes-nous pour juger ? Combien de fois dans nos vies sommes-nous sortis de nos zones de confort ?

Certains parlent de fainéantise, comme cet américain nous racontant l’anecdote suivante : suite à un typhon dévastateur aux Philippines, son entreprise décide d’apporter son soutien aux sinistrés. Pour éviter de tomber dans l’assistanat, les secours cherchent parfois à impliquer les personnes concernées. Ils font alors à la population cette proposition alléchante : l’entreprise vous fournit le matériel nécessaire à la reconstruction de votre maison, et pour chaque heure travaillée de votre part, l’entreprise vous offre 10h de main d’œuvre. Cet américain tomba de haut lorsqu’il essuya des refus : “I was more excited than them to repair their own house!”, nous raconte-t-il.

Le pouvoir de dire non serait-ce la dernière liberté du pauvre ?

 

Mise en action de mon excellence

Je n’étais pas là pour demander à ces gens les raisons de leur refus. Je suis moi même souvent surpris par les réactions des Jeunes. C’est là que j’active mon mode opératoire en essayant de comprendre en changeant de perspective. Je sais de par mon expérience avec les Jeunes que notre instinct se trompe systématiquement lorsqu’on évoque la fainéantise. Ce qu’on cache derrière la “flemme” n’est que peur, honte ou manque de confiance, d’espoir ou de sens. Cela vaut pour le Jeune aisée qui tourne en rond en fuyant la réalité derrière des séries Netflix comme pour le Jeune de cité qui préfère dealer plutôt que de livrer des sushis pour 1000€ par mois. Cela vaut aussi pour le Jeune du bidonville qui ne vient pas au centre, ou qui refuse une opportunité de travail offerte sur un plateau.

 

Quand les Jeunes partent faire du porte à porte pour mobiliser (Manille)

 

Philippines – © Thomas d’Harcourt

 

 

Il m’est d’ailleurs arrivé de faire la même erreur que cet américain au début de ma mission. Je propose à Andrea, une des Jeunes les plus prometteuses du programme, un poste de réceptionniste au lycée Français de Manille. La voyant visiblement déçue après l’entretien d’embauche, je la mobilise pour demander une seconde chance à l’employeur. Nous travaillons ensemble sur une vidéo de motivation. L’effet escompté a lieu et elle décroche un nouvel entretien. Ce n’est qu’après avoir décroché le contrat qu’elle me confie qu’elle va décliner l’offre.

C’était moi qui lui avais trouvé ce job. Je me suis ensuite impliqué personnellement en la valorisant auprès du recruteur. Je ne comprenais pas comment Andréa, leader du centre, avait pu passer à côté d’une telle opportunité. En me battant pour ce succès plus que pour Andréa elle-même, j’ai oublié d’être à l’écoute de son réel besoin.

C’est ce que le métier de coach vous apprend le plus. Dans leur discussion accouchant du Livre de la Joie (ed.Flammarion), le Dalaï Lama et l’archevêque Desmond Tutu appellent cela la “perspective”. C’est l’un des 8 piliers de la joie.

Pour aller plus loin : Lucie Dubert s’inspire de ce livre pour nous transmettre ce qu’elle retient de son expérience à LP4Y. Un livre destiné aussi bien à ceux qui souhaitent s’engager qu’aux lecteurs avides de sens et d’exotisme.

Andrea a finalement trouvé un travail pour le gouvernement, synonyme de sécurité pour beaucoup de Philippins. Concrètement, elle faisait du porte à porte pour recenser la population, pour un salaire inférieur à celui que lui avait proposé le Lycée Français. Il y a mille raisons possibles pour lesquelles elle a refusé le job de réceptionniste. Il n’est pas forcément utile de les connaître. Elle est maintenant commerciale dans une grande entreprise avec un bon salaire.

 

Quand deux mondes se rencontrent : visite de Hyatt au centre puis de LP4Y au Grand Hyatt de Manille

 

Philippines – © Thomas d’Harcourt

Philippines – © Thomas d’Harcourt

Philippines – © Florent Besson

 

Pour se rendre compte à quel point s’extraire de l’exclusion est difficile, on peut regarder la situation des Jeunes qui ont réussi à en sortir. Après 5 ans de travail dans une grande entreprise, un salaire décent et une confiance gonflée à bloc – à en croire leurs témoignages époustouflants devant des centaines de personnes – la plupart des Jeunes vivent quasiment dans les mêmes conditions qu’avant.

Chez les pauvres, la famille est le socle de tout mais peut parfois être un poids. Les Jeunes font tout pour elle. Pour moi dont la famille à toujours été un moteur d’épanouissement, je peux vite avoir le sentiment que leur famille ne fait rien pour les Jeunes. 

Quand ils ne sont pas abandonnés, battus ou abusés sexuellement, les enfants sont un gagne-pain. Il sont parfois même une simple assurance retraite, comme le confie ouvertement un chauffeur de taxi. Et lorsqu’un Jeune philippin réussit et gagne un bon salaire (350€ / mois), c’est 10 personnes qui vivent à son crochet. Une Jeune indienne que je coachais l’année dernière me racontait l’autre jour ne pas s’en sortir avec son salaire, pourtant bien supérieur au minimum légal. Avec ses 9400 roupies par mois (115€) elle doit aider sa famille à financer le mariage de sa sœur (le système de dot est encore monnaie courante là-bas), aider son frère, et mettre de côté pour reprendre ses études…

Plusieurs fois, nous avons encouragé ces Jeunes à aller s’installer à l’écart de leur famille, et à faire l’expérience du monde décent, mais cela n’arrive quasiment jamais.

 

LP4Y, vecteur d’expression de votre excellence

Les success stories comme celle d’Andrea se comptent par milliers. Le mouvement grandit et le marché inépuisable de l’inclusion procure à LP4Y une croissance à faire pâlir les start-ups de la Silicon Valley (1 milliard de Jeunes vivront sous le seuil de pauvreté de 2€ par jour en 2025). Ces Jeunes ont besoin de vous. LP4Y les accompagne à devenir acteurs de leur vie. Coach, coordinateur pays, chef de projet en communication, finance, pédagogie, partenariats, plaidoyer, levée de fond, développeur de projet, consultant, support digital… la carrière de vos rêves vous tend les bras.

Lors d’un rassemblement d’ONG à Manille, un volontaire d’une autre association me dit : “ce qui fait la force de LP4Y, ce sont ses volontaires extraordinaires”.

Vivre cette expérience dans la sérénité nécessite une passion pour le partage, la rencontre, et l’entreprenariat. La vie sur le terrain est exigeante mais vous apportera tellement. Si la cause de l’inclusion est nouvelle pour vous, soyez sûr qu’elle vous prend au tripes dès votre première mock interview, guidance ou sharing time avec les Jeunes. Ces derniers vous transformeront comme vous n’auriez pu l’imaginer. Ils vous sortiront de votre zone de confort et vous éblouiront de leurs témoignages. Ils vous apporteront un nouveau regard sur le monde et sur vous-même.

Si cette personne a eu cette impression sur les volontaires LP4Y, c’est que, plus qu’ailleurs, on a la liberté d’y exprimer son potentiel, d’entreprendre, de faire des erreurs, d’apprendre et de grandir. C’est du moins ce que j’y ai vécu. LP4Y recrute des profils pour la plupart inexpérimentés au sujet de l’inclusion mais l’esprit est là-bas à l’image de la pédagogie pour les Jeunes :  learning by doing.

Chacun arrive à LP4Y avec ses raisons, ses attentes et ses qualités. J’espérais un poste de coach, des défis, et des talents à explorer. Je suis plus que rassasié, mais la route ne s’arrête pas là.

Je recommande le coaching Mo2i à ceux qui souhaitent apprendre à se connaître et exploiter leurs talents.

Je conseille LP4Y à ceux qui veulent comprendre le monde en relevant les défis de ce 21e siècle déjà passionnant.

 

La seule question qui vaille, pour tout être humain, est de tenter de comprendre le monde, de s’y inscrire. Auguste Rodin

 

>> Découvrir la partie 1 

 

Séminaire pour l’équipe Philippines

Philippines – © Thomas d’Harcourt

Philippines – © Thomas d’Harcourt

Philippines – © Thomas d’Harcourt

Philippines – © Thomas d’Harcourt

Un article de Thomas d’Harcourt  

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