Il faut toujours être vigilant avec les premières fois. Ce sont des stigmates à vie, des marques parfois dangereuses. Prenons l’exemple de Lois Desfarges, 25 ans, chef-cuisinier d’origine française. La première chose qu’il fit en arrivant au Québec : prendre en photo un bus scolaire jaune. Quatre ans plus tard, c’est à bord d’un de ces engins retapés en cuisine professionnelle qu’il fera le tour du Québec pour proposer les services de sa cantine roulante.
Une photographie innocente à l’origine d’un projet gastronomique incroyable ! Une aventure improbable qui m’a donné faim. J’ai donc décidé d’en parler directement avec lui.
Into the Québec
Rien ne prédestinait Loïs à déglacer le saumon sous -30 degrés dans des décors à la Into The Wild.
Originaire du Sud-Ouest français, sa mère et sa grand-mère lui ont transmis la passion de la bouffe. C’est donc dans le Périgord qu’il apprend le métier grâce à un BTS en hôtellerie-restauration. Après une première année à travailler la cuisson du magret, il est envoyé en stage dans une célèbre chaîne hôtelière au nord du Québec avec son meilleur ami. C’est le coup de coeur. “J’ai vécu l’expérience québécoise à fond, ce mélange des cultures si particulier au Canada. Pour résumer, gros pick-up américain mais en parlant français et plus de rapport à la qualité qu’à la quantité”. Il y a aussi pris une photo d’un bus jaune.
Une fois de retour en France et son école terminée, la nostalgie des grands espaces le surprend alors qu’il travaille dans un restaurant à Arcachon. Le constat est là : en France, être cuisiner est reconnu mais mal payé, les horaires (jamais notées mais toujours dépassées) sont sur une base de 40h, les évolutions de carrière… se cuisent à feu doux. Au contraire, au Canada, si le statut est moins valorisé, il est compensé par le portefeuille et par la possibilité de devenir rapidement chef. La photo du bus jaune lui trotte dans la tête. C’est décidé : c’est dans la région francophone du Canada qu’il ira aiguiser ses couteaux ! Il s’installe dans un restaurant du Vieux-Québec où il monte rapidement les échelons. Quelques années passent.
“Une chose m’embêtait : cuisiner en intérieur sans voir d’où venait les produits. Un aspect me manquait : montrer aux clients la beauté du travail. C’est un métier où l’on travaille dans l’ombre d’une petite arrière-cuisine sans aucun lien avec les producteurs ni les clients. L’action de cuisiner n’est pas mise en valeur, n’est pas montrée, alors qu’elle est si belle”. L’idée de lâcher le Vieux-Québec pour le vrai commence à faire son chemin. Une offre sur internet plus tard, un bus scolaire jaune est garé devant chez lui. L’appel de l’aventure ronronne.
Le Bus Magique
Mais avant de partir il faut avoir tous les feux verts ! Le patron est d’accord pour le laisser filer. En revanche, le bus est fatigué… Entre deux shifts, Lois entreprend donc de le retaper. Ce concept a un nom : le skoolie. Le principe est d’aménager les bus scolaires typiques d’Amérique du Nord pour en faire un lieu de vie, c’est-à-dire une version swaggie des bons vieux camping-car ! Inspiré par des forums d’habitués et des youtubers spécialisés, il lance sa chaîne au nom audacieux, LoisBus. Son petit plus ? Equiper son gamos pour en faire une cuisine roulante.
Menuiserie, plomberie, électricité, tout doit y être installé. Profitant du confinement, Lois accélère la rénovation du bus. Le résultat est saisissant, et à suivre au jour le jour sur sa chaîne Youtube créé pour l’occasion. Mais les quatorze vidéos publiées ne répondent pas à une question : comment un jeune cuisiner devient-il un pro des chantiers ? Pour le comprendre, retour au Périgord où ses parents achètent et retapent des maisons. Loïs participe à chaque étape ! On comprendra mieux son apparente facilité à manier les coupes-tubes, cintreuses ou encore des scies en tout genre à faire rosir un bourreau.
“Skooling and cooking”, voici comment il résume son aventure. Vient donc enfin le moment où l’on peut parler des choses sérieuses, vraies et essentielles : la nourriture !
Dans les yeux de Loïs
Lorsque je lui demande son rapport à la cuisine québécoise, Loïs me parle de fromages ! Une habitude issue de France ? Pays sur lequel De Gaulle demandait, à bon escient, “Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ?”
Non, m’explique t-il. “Le Québec a presque autant de sorte de fromage que la France.” Haters en tout genre, inutile de faire chauffer Google. Ce qui est important à retenir, c’est que, pour un français, lorsqu’on évoque le Québec, c’est malheureusement l’image des Etats-Unis qui prévaut. C’est à dire : malbouffe, fast-food, agriculture industrialisée de la mort qui tue. Et ce que Lois cherche à me dire, c’est que le Québec est tout le contraire, avec ses multiples fromageries, ses vaches uniques et ses brasseries de bières artisanales reconnues dans le monde.
La cuisine québécoise, m’apprend-il, s’est adaptée à un climat janusien : des hivers glacés et des étés torrides. Il y a donc des spécialités pour chaque saisons ! Poutine, couptons, pâtés chinois et tourtière en sauce servent à réchauffer, les saumons en salades dégustés au bord des ruisseaux permettent au contraire de se rafraîchir.
Loïs me décrit son attachement au Québec par deux mots : “Nature” et “liberté”. Oui, le Québec est bien libre. Grâce à son terroir.
L’appel de la bouffe
La spécificité du terroir québécois, c’est justement l’un des chevaux de bataille de Loïs. A travers son projet, c’est son patrimoine culinaire d’adoption qu’il souhaite mettre en valeur en le présentant à ses clients lors des déplacements en bus.
Pour cela, Loïs a prévu de se garer chez les producteurs locaux découverts aux surprises de la route, chez ces célébrités anonymes qui participent à la personnalité d’un territoire. Les rencontres feront l’objet de reportages Youtube à suivre sur sa chaîne. Sa première idée : contacter un vignoble et un producteur de fraise situés sur l’île d’Orléans. “Ils font de magnifiques produits, il faut que les mentalités changent sur notre manière de percevoir la nourriture québécoise”.
Mais le projet ne s’arrête pas là ! Après avoir filmé ses découvertes humaines et culinaires, c’est par la cuisine qu’il veut partager son aventure ! Son plan d’action : prévenir les personnes susceptibles de vouloir organiser un repas (anniversaire, fêtes…) et préparer devant eux les produits découverts autour de leur maison. Les aliments sont indissociables des paysages dans lesquels ils ont mûri. C’est pourquoi Loïs aimerait aussi emmener ses clients pêcher dans les lacs et cuisiner sur place les cadeaux du Canada. Le bus est équipé d’une table pour huit. A qui le tour ?
Le départ est prévu pour juillet. Le temps de ranger ses dernières casseroles, de fignoler son bus. Beaucoup d’espace sera laissé au hasard, Loïs n’a pas de chemin à suivre, uniquement des rêves. En revanche, la playlist, elle, est déjà programmée. Le premier kilomètre se fera au son du chanteur de country-trap Breland au refrain explicite : “don’t touch my trunk”. La recette est écrite !
Baudouin Duchange
Pour en savoir plus sur Loïs :
- Sa page Instagram
- Sa chaîne Youtube
- Tenté par le projet ? Loïs a lancé une campagne de financement participative. Rejoins-le dans son aventure !
8 commentaires
Toujours formidable
Merci Emile !
Ok! Pas de problème Romain👍😀
Article très sympa qui donne envie d’aller faire un tour au Canada !
Génial cet article, un ami de mon fils est parti vivre à Sherbrooke, il est routier à son compte et ne tarit pas d’éloge sur le Canada.
Pas facile d’y entrer mais après tout est super
merci Baudouin pour ce sympathique voyage culinaire !!! j’ai toujours eu un petit faible pour le Canada : je suis confortée par ce projet culinaire et j’espère que tu pourras voir ce bus en vrai , je sais que tu aimes aussi beaucoup cuisiner…je t’embrasse .
Génial on s’y croirait. Bon courage et bonne chance pour la suite.
À bientôt au Québec
Super, merci beaucoup pour cet article ça m’a fait rêver rien qu’en le lisant ! À bientôt !