#1 – L’alimentation générale : punk, électro et nostalgie populaire

par Romain Mailliu
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Cette série d’articles met en lumière quelques lieux du Paris nocturne. Vous y découvrirez des alternatives au bar dans lequel vous buvez les mêmes pintes depuis des semaines, qui commencent sérieusement à avoir un goût de pisse. 

 

Devanture de l'Alimentation Générale

Devanture de l’Alimentation Générale

 

“L’ennui avec la ponctualité, c’est que personne n’est jamais là pour l’apprécier.” Harold Rome

20h, je suis en avance. C’est assez rare pour vous le signaler. Enfin, dans la vie professionnelle, – vie parallèle que l’on poursuit plus ou moins tous – je ne suis jamais en retard. C’est même souvent moi le premier, dans les salles de réunion, les confcalls, avec cette désagréable impression que mon temps a une valeur significativement moins importante que celui des autres.

Ce soir, j’ai rendez-vous à l’alimentation générale, 64 rue Jean Pierre Timbaud, Paris 11. La devanture affiche un noir clair, qui flirte avec le gris et fait l’angle de la rue.  Des ampoules, surplombant la façade d’ardoises et de vitres,  forment en lettre capitale le nom de l’enceigne. 

Le hall d’entrée est vide, le concert doit débuter à 21h. Je tends ma place au vigile qui lit le nom à voix haute « Alain Chantefort », puis me regarde avec des yeux noirs comme mon café du matin. J’esquisse un demi sourire (sans les dents), il hoche la tête et me laisse rentrer. 

La pièce principale s’étend comme la mer sur le monde, offrant l’espace adéquat pour taper du pied et rouler des épaules. Quelques tables en bois viennent s’accouder au mur du fond et c’est le seul mobilier notable. L’espace est réservé à la foule, avec l’essentiel pour alimenter nos entrailles et nos âmes : un bar et une scène. Des fresques murales habillent l’ensemble, plus ou moins inspirées. 

Quelques spectateurs solitaires sont déjà là et foulent le béton, un pas à droite, un pas à gauche, une bière à la main et les yeux fixés sur leurs smartphones. Est-ce pour se rattacher à la pratique – même distante – d’une vie sociale, en attendant que leurs compagnons arrivent ? Est-ce un message indirect pour s’informer les uns les autres qu’ils n’ont pas affaire à des misanthropes mais à des mélomanes ponctuels ? Romain tu te poses trop de questions. J’arrête de rêvasser et je saisis mon portable. 

 

Jeanne Menjoulet ©

 

Le bal des oiseaux fous

Mes amis arrivent en même temps que le groupe Balafre, chargé de la première partie. Une cinquantaine de personnes sont maintenant regroupées devant la scène et Balafre s’emploie à chauffer la salle. J’ai l’impression qu’un punk band  grunge des années 80 vient de surgir de sous terre. La foule est à l’image de la devanture, il y en a pour PRESQUE tous les goûts. C’est le bal des oiseaux fous : des étudiantes perchées sur d’épaisses semelles en plastique, des d’étudiants chevelus blouson en jean sur le dos, un père et son fils tout de noir vêtus portant des bouchons d’oreilles, un couple de trentenaires envelopés dans de grosses doudounes avec des sweats à capuche, un sexagénaire tapant frénétiquement du pied l’oreille collé au mur d’enceinte à gauche de la scène. Le sosie de la bassiste et chanteuse – sa sœur ?  – capture l’instant. Le PRESQUE pourrait exclure les jeunes cadres dynamiques en pantalon, pull mérinos et chemise Café Coton sur le dos, fièrement représentés ce soir par mon ami Gonzague. 

Ça sonne un peu brouillon, la voix n’est pas toujours juste, les accords tombent une frette trop loin, mais tout le monde s’en fout. Le chanteur hurle à la lune dans un langage elfique qui d’après mon voisin de droite semble être de l’anglais canadien. Seules les fresques ne dansent pas dans la salle, sauf pour mon voisin de gauche, qui sniffe du Popper. 

=> Découvrir le groupe 

Balafre ©

 

Cuir contre mérinos 

C’est l’entracte, donc temps de prendre une pinte et un morceau de pizza au bar. Une fresque d’Aretha Franklin le surplombe, peut-être y a-t-elle chanté ? L’alimentation générale a vu le jour en 2005 avec l’arrivée de Sans Saïd Messous à Paris, à coups de concerts éclectiques et de couscous gratuits. Le succès est immédiat.  Aujourd’hui, Saïd a 40 ans et son dernier club est le Punk Paradise, ouvert en 2016 rue de la Folie-Méricourt. Il veut y retrouver l’esprit populaire de l’Alimentation Générale des débuts, les notes sucrées et naïves d’un premier amour. 

Nous descendons dans la salle de jeux, qui se trouve être aussi dévêtue que la salle de concert. À la place de la scène se trouve un babyfoot et des bornes de jeux d’arcades. Des toilettes remplacent le bar. Dois-je vraiment me lancer dans la description des toilettes ? Certains pourraient trouver cela sans intérêt, voire grossier. J’ai des lecteurs distingués, que voulez-vous. Pourtant, c’est à travers ces petits détails que l’on prend pleinement conscience de l’ADN des lieux. L’antre des hommes, grotte bestiale où la bière s’extrait des corps pour rejoindre des horizons plus prospères, n’a pas de porte. Un urinoir collectif s’étant sur le bord droit de la pièce et l’on fait ce que font les mortels, épaules contre épaules, cuir contre mérinos. 

 

Pissoir

 

Leçon de Basse improvisée 

Blind Delon, la tête d’affiche de la soirée, va s’élancer. La batterie a été remplacée par un ordinateur et un touchpad. L’ambiance s’annonce électro-sombre. Ça ne loupe pas. Lignes de basse froides et synthétiseurs d’autant, un riff à 175 bpm démarre et me ramène 8 ans en arrière quand je découvrais Anti-Taxi de La Femme. Le guitariste va et vient entre son ordinateur et l’enceinte retour, contre laquelle il colle sa guitare un genou au sol, provoquant l’effet Larsen, cauchemar des conférenciers amateurs. La foule commence à se chercher gentiment. Les chevelus se demandent si ça vaut le coup de salir leurs sneakers. Pogo ? Pas pogo ? Une brunette leur lance un clin d’œil complice, adieu chaussures immaculées, la bataille doit avoir lieu. 

Je profite d’un mouvement de foule pour m’élancer en premier rang, où je retrouve Gonzague en duel de regard avec le bassiste qui crève d’envie de nous rejoindre. Si Saïd était là, il pourrait certainement y retrouver un soupçon de fièvre populiste. Le guitariste, peu concerné par l’échauffourée qui prend place en contrebas de son acropole, convulse les yeux à demi clos, les doigts collés à sa dame de métal. Le bassiste est maintenant dans la foule, Gonzague le décharge de son instrument. Nous décidons de frapper en rythme sur les cordes – Gonzague, le chevelu, le bassiste et moi – inspiré par le génie de Marcus Miller et Victor Wooten réunis. Je manque de glisser sur une fiole de poppers. Le bassiste brise son archet et le lance dans la foule. Deux yeux bruns sous le rideau d’une frange toute aussi brune me fixent d’un regard malin, et amorcent un timide coup d’épaule. Les corps se bousculent, caresses musclées, écume au croisement  d’une eau salé puis douce, bercé par le romantisme noir et les bruits bruts des musiciens. 

=> Découvrir le groupe 

 

Clôture

Le concert se termine et je retrouve Gonzague en négociation avec le père et le fils aux bouchons d’oreilles. Ils ont récupéré la baguette du batteur du premier concert et l’archet du bassiste cette fois-ci. Il est “hors de question !!” de partager les trophées.  Nous aurions pu – dû ?-  les assommer pendant le pogo. Ils s’empressent de grimper dans une voiture. L’esprit populaire s’arrête à la porte du chauffeur privé. 

« L’Alimentation Générale alimente de manière générale nos entrailles et nos âmes. » peut-on lire sur le site internet de l’enseigne. Pour ce qui est des entrailles, une pizza n’a jamais fait de mal à personne. L’âme a également pris sa dose de glucide. Je n’ai pas la prétention d’être un expert des salles rock-électro-punk mais je ne suis jamais contre un câlin collectif et une leçon de basse en plein concert. Ce matin je me suis même surpris à écouter Edouard de Blind Delon, connecté 5 minutes en avance au “Point d’équipe bureau Paris (overall team)”.  

“L’Alimentation Générale n’a pas le but de se spécialiser dans un style particulier, mais plutôt celui de l’éclectisme avec le désir d’ouvrir les esprits à la différence et à la diversité.” Sans prise de tête, c’est une salle-bar-club qui vous invite à 

  1. Vivre quelques frissons populaires sans trop sortir de votre zone de confort 
  2. Découvrir des artistes talentueux évoluant dans des catégories qui ne passent pas sur la playlist de votre espace de coworking 
  3. Alimenter vos entrailles (et vos âmes) sans vous ruiner   

 

Une Chronique de Romain Mailliu

Infos pratiques 

  • Adresse : 64 Rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris
  • Prix des concerts : 5-10€
  • Pinte : 5€
  • Pizza : 10-15€
  • Puissance des pogos : 6,5/10
  • Équilibre hormonal : 55% hommes ; 45% femmes

 

Une blague

 

Photo de couverture : Blind Delon ©

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30 novembre 2021 0 h 38 min

Fantastique !