#13 Les départs devraient être soudains

par Romain Mailliu
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Bidonville en bord de mer - Cilincing - © Romain Mailliu

 

La crise sanitaire mondiale menace Kampung Sawah, le bidonville indonésien de Romain. Suivez avec son carnet de bord l’impact du Coronavirus dans les quartiers les plus pauvres. 

 

Les départs devraient être soudains. Le 21 mars 2020

Sarah fait ses affaires. Elle s’en va. La décision a été prise aujourd’hui. Elle n’emporte avec elle qu’un petit sac qu’elle prendra en cabine. Elle ne souhaite pas perdre de temps, chaque seconde compte. 

Sous assistance respiratoire de 4 mois à 6 ans, la petite enfance de Sarah fut marquée par le bruit d’aspirateur de la ventilation mécanique, son éternelle compagne. Bien qu’à 18 ans, l’âge de tous les possibles, son asthme se soit stabilisé, elle prend aujourd’hui encore 6 médicaments par jour pour éviter des complications. Seulement voilà : le Coronavirus est une grippe qui peut retourner sa veste. Dans cet ouragan d’informations sans fin, les quelques faits que j’arrive à saisir – comme le pêcheur attrape une sardine dans un banc de maquereau – laissent présager qu’avec des problèmes pulmonaires le Covid-19 peut vous conduire en réanimation. Or, la réanimation en Indonésie, c’est un peu comme les amis en politique :  ça existe mais il ne faut pas trop s’y fier.

Elle a pris le premier vol qu’elle a trouvé. 2 escales : Hong-Kong et Les Emirats arabes unis, avant d’arriver à Lyon. Sarah ne savait pas que Hong-Kong était la région la plus grande et la plus peuplée de la république populaire de Chine, ou peut-être qu’au fond elle s’en doutait, mais qu’elle avait décidé de chasser cette idée de sa tête. Le plus gros risque, c’était de rester en Indonésie. 

L’ambassade nous a contacté : les vols pour la France seront bientôt limités aux longs courriers commerciaux pour une durée indéterminée. Vacanciers, rentrez vite : il est venu le temps de la raison. Adieu Bali ; bonjour Bercy. Expatriés, vous avez choisi une vie de princes, loin de la monotonie parisienne – Métro, boulot, dodo – restez. Vous allez la vivre, l’aventure, chez vous, en quarantaine, au bord de la piscine. Si vous fermez bien vos portails – barrières infranchissables de vos prisons dorés – et que vous renvoyez les domestiques, les risques d’attraper le virus sont approximativement les mêmes qu’en France. 

Et les volontaires dans tout cela ? Nous sommes partis avec l’idée de sauver la veuve et l’orphelin… Le fantasme prend une tournure inattendue et déroutante. Nous ne vivons pas dans de belles maisons, dans les quartiers riches de la ville, proches des hôpitaux privés et d’une population connectée au monde qui prend conscience de l’urgence et réagit à coup de gestes barrières et de quarantaines. Nous sommes dans les quartiers pauvres où il est inconcevable de s’enfermer seul chez soi car ici l’union fait la force. 

Que va-t-il nous arriver ? Je pourrais tirer des plans sur la comète, et je le ferais très certainement par la suite – il faut bien s’occuper – mais pour l’instant, je regarde par ma fenêtre le soleil se coucher sur Kampung Sawah, le bidonville dans lequel je vis. Les enfants jouent dans la rue et font brûler, dans un petit brasier, les morceaux de plastique qui jonchent le sol. Leur mère les regarde d’un oeil occupée. Une éponge à la main, elle frotte le scooter familial. Il y a 50 ans, elle lui aurait donné du foin tout en lui caressant la croupe. Le scooter est une bête increvable. Sur son dos, il porte des familles entières, sans jamais gémir, et quand bien même cela arrive, vous lui donnez un gorgée de gasoline et il repart au galop. 

 

Alors qu’elle nous annonçait sa décision, le sel a coulé sur les joues de Sarah. Je n’ai pas su réagir. Généralement, quand les émotions jaillissent chez mon interlocuteur, je cherche méthodiquement à adopter la “bonne” attitude. J’essaie de me téléporter dans la personne concernée. De me mettre à sa place, en quelque sorte. Faire preuve d’empathie. L’équation me semble assez simple : nous sommes tous des êtres humains et, malgré nos différences, nous avons une ligne de conduite commune. Romain, comment aimerais-tu que les autres réagissent face à toi ? Et là, mon théorème s’écroule. A la place de Sarah, je prendrais la fuite pour exprimer ma peine en silence. Intérieurement, en quelque sorte. Ce qui, en vue de principes physiques et psychiques assez évidents, n’est pas une bonne idée. C’est un coup à se remplir et à la moindre différence de pression : exploser. J’en conviens. Toujours est-il que Sarah est triste et moi tout autant désemparé. 

Elle est partie dire au revoir aux jeunes des bidonvilles que nous accompagnons dans le cadre de notre mission de volontariat. Elle a découpé des photos – instants volés au temps qui passe – qu’elle leur donne. 

Ces jeunes, nous partageons leur quotidien depuis maintenant 8 mois. Quand ils apprennent la nouvelle, une vague froide leur mord le visage. Des départs, ils en ont connu : une petite soeur qui ne soufflera jamais sa première bougie, un frère qui travaille loin pour nourrir sa famille, des parents partis en les laissant un matin sur le perron d’une voisine… 

Dans cette situation, ce sont eux qui prennent soin de nous. Avec un anglais hésitant dont ils connaissaient à peine quelques mots il y a encore 2 mois, ils essaient de nous réconforter. Et c’est diablement efficace. Je m’assieds et les regarde faire, admiratif. Nous essayons de leur apprendre les compétences recherchées par les entreprises pour qu’ils trouvent un emploi stable et décent. Nos enseignements me semblent biens futiles à présent. Aujourd’hui, c’est moi qui prend la leçon. 

 

Sarah accompagnée de Ramdani Akbar et Taufan Alamsyah, des jeunes du programme LP4Y - © Romain Mailliu

Sarah accompagnée de Ramdani Akbar et Taufan Alamsyah, des jeunes du programme LP4Y –
© Romain Mailliu

La Cigale et la Fourmi. Le 22 mars 2020

 Sarah est partie. Le centre semble vide, et les pas dans le couloir qui mène à nos chambres sonnent creux. Le silence court le long des murs, s’adosse aux fenêtres. Il emplit l’espace et nous étouffe petit à petit. Entre volontaires, nous vivions en communauté. Nous sommes habituellement 4 : Sarah, Fanette, Lia et moi. Fanette est en déplacement. Je me retrouve donc seul avec Lia. Elle est Indonésienne et s’occupe dans notre ONG de faire le lien entre nous, volontaires français, et l’Indonésie. Son poste ? Community mobilizer. N’allez pas croire que nous ne sommes pas Corporate. LP4Y est une ONG avec une structuration digne des multinationales du CAC 40. Je pourrais vous développer le modèle, l’organisation des différents pôles, l’organigramme, la road map à 5 ans et les résultats du premier semestre. Mais nous ne sommes pas ici pour parler business. Rassurez-vous : LP4Y n’a pas encore prévu une IPO au Nasdaq avant la fin de l’année. 

 Je retrouve Lia dans la cuisine, les yeux perdus dans son bol de lait à la fraise. Nous sommes dimanche ; il est 9h. Le soleil est déjà haut dans un ciel bleu qui appelle à l’aventure. Romain, il est temps de te ressaisir ! Il est vrai, un chapitre se termine dans notre colocation mais l’on n’écrit pas de bons romans sans tourner des pages. N’oublions pas que pendant la campagne de Russie, Napoléon a perdu 200 000 hommes pour finir exilé sur l’île d’Elbe. Nous ne sommes pas à plaindre. L’Histoire est un ami toujours fidèle qui nous aide à relativiser. Debout soldat ! il est temps de se préparer à faire face à cet adversaire sans étendard qui répand sa fièvre partout dans le monde.

 Il n’y a pas de bon soldat sans bon matériel. Et ça, la France, 3ème plus gros exportateur mondial de matériel militaire, l’a bien compris. Avec un chiffre d’affaires de 9,1 milliards d’euros en 2018 et un marché en hausse de 5%, il y a de quoi alimenter les théories les plus lugubres de nos amis complotistes. Bien qu’il soit certainement possible d’acheter des armes à Kampung Sawah, elles nous seront peu utiles pour lutter contre le COVID-19. J’ai toujours été très mauvais au tir à la carabine et ma seule expérience de ball-trap s’est soldée par une bière et une épaule d’agneau au club-house. Bref, nous partons donc acheter des masques, des gants et du paracétamol. Mais où donc trouver ces ressources tant convoitées ? Cela fait déjà plusieurs jours que nous investiguons autour de notre bidonville et il faut se rendre à l’évidence : on peut y trouver la joie, la compassion, la sagesse et un Magnum 357 mais pas de matériel médical. Seuls les malls, véritables palais du royaume de la consommation, semblent encore disposer d’un pareil trésor.

 

Les malls sont à l’Indonésie ce que sont les térasses et les jardins à la France : des lieux de rendez-vous incontournables pour les familles, les amis, les futurs couples, les anciens amants… L’endroit hype pour passer un weekend branché. Jakarta, on n’en compte pas moins de 144. Il y en a pour tous les goût. Ou plutôt pour tous les portefeuilles. Je les ai classés en 3 catégories : 

  1. Le mall “fourmilière”. Il est composée d’un agglomérat de petites galeries qui partent dans tous les sens. On y trouve de tout et on ne repart jamais avec ce que l’on était venu chercher. La circulation y est difficile et il faut savoir jouer des coudes pour rester à la surface. Les prix sont bas pour qui sait négocier : vous y rencontrerez des commerçants tenaces. 
  2. Le mall “Les 4 temps”. Je vous épargne les détails : c’est celui qui ressemble le plus à nos centres commerciaux. Vous y trouverez des chaînes de prêt à porter, de restauration ainsi qu’un espace détente avec son bassin artificiel. Pendant la période de Noël, un sapin est dressé en son centre et un stand de photo vous propose pour 10 euros un souvenir avec le vrai Père Noël. 
  3. Le mall “Hilton”. Le sol en marbre encore trop peu foulé est une véritable patinoire. Les couloirs sont immenses. Des voitures de sport vous regardent avec de grands yeux depuis leurs stands éphémères. Les chaînes qui ont fait leurs preuves se cachent à l’ombre des vitrines des boutiques de luxe. Yves Saint Laurent, Dior, Chanel, Givenchy, Gucci… Quelques discrets visiteurs admirent les vitrines avant de prendre la fuite quand le vendeur en costume trois pièces les approche. 

 

Nous en choisissons un à proximité de notre quartier, qui porte le délicat nom  de Aeon. C’est un mall que je place dans la catégorie numéro deux. Comme tout stratège formé sur le tas à la gestion de crise, nous avons décidé de faire des stocks : ni trop peux, ni pas assez. Autour de nous, la concurrence s’active en poussant des cadis remplis de sacs de riz et de nouilles chinoises. Le rayon de papier toilette n’a pas encore été dévalisé pour des raisons culturelles que je vous laisserai deviner. Le bilan n’est pas glorieux. Plus de masques, plus de gants. J’arrive à me procurer quelques sachets de paracétamol et un thermomètre. Impossible de respecter les gestes barrières et seul le personnel du supermarché porte des masques. Nous repartons avec un désagréable goût d’échec à la bouche.

 

A suivre…

Des appartements situés au dessus d’un mall dans le nord de Jakarta

Des appartements situés au dessus d’un mall dans le nord de Jakarta

 

Photo de couverture : Bidonville en bord de mer – Cilincing – © Romain Mailliu

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14 avril 2020 10 h 05 min

Moi de ma Provence j’avais oublié que le reste du monde souffrait aussi, vous l’avez bien expliqué. Quel courage il faut.

13 avril 2020 22 h 29 min

nice blog and article..

Sixtine
11 avril 2020 4 h 07 min

Super article! J’adore le concept de carnet de bord, On attend la suite avec impatience:) bisous